Paris porté à l'écran : que retiennent les cinéastes?
projet intégral d'un TPE de deux élèves de 1ere Littéraire de la Folie Saint James à Neuilly

Paris au cinéma par Murielle

Le délicat profil d'une actrice fumant une cigarette dans un bistro, les brillantes discussions de deux personnages clé dans un café, les prostituées au grand coeur, les musiciens du métro, les bouquinistes et les disquaires, les amoureux, les bancs publics, les parcs et les pigeons, le Clichy populaire, les cinémas de Montparnasse, le Quartier Latin littéraire, les étudiants sorbonnards, les Champs-Elysées, autant d'images fantasmées de Paris a jamais incrustées dans l'inconscient de chacun. Paris, ce parfait endroit propice aux déambulations, à l'amour, au lyrisme et à tout les degrés de la tristesse comme de la joie.Pour certain la capitale inspire la fougue d'une jeunesse en cours, pour d'autre la mélancolie ouatée de celle révolue, mais chacun y trouve son compte quand il s'agit de donner aux petits comme aux grands évènements de sa vie le plus beau cadre qui soit. Cinéastes, écrivains, photographes, musiciens, chacun à sa façon a su sublimer Paris, se servir d'elle comme d'une muse immuable et fidèle, lui rendre service de la même façon qu'elle rend service à leur inspiration.
Ici nous nous focaliserons sur la représentation de Paris dans le cinéma des années 50 à 60 avec pour problématique : Quelles images de Paris se font les cinéastes de la Nouvelle Vague? Et les cinéastes américains? C'est à cette question et avec de modestes moyens que nous tenterons d'y répondre ou du moins d'y apporter des éléments de réponse par une analyse de grandes oeuvres cinématographiques comprises entre 1951 et 1965.

Nouvelle Vague
"Nadja à Paris" d'Eric Rohmer 1964
"Paris vu par..." film collectif des cinéastes de la Nouvelle Vague 1965

Cinéma d'ailleurs
Un américain à Paris Vincente Minneli 1951
Charade de Stanley Donen 1963
Deux têtes folles de Richard Quine 1964

Paris... Paris... par Alexia

Qui n' a jamais rêver une seule fois de s'allonger sous la Tour Eiffel,de voir la vie en rose, de se croire si seul au monde que l'on en apprécierait la venue des pigeons Parisiens, le petit vent frais du matin et l'odeur des excréments de chiens.
Paris, une grande source d'inspiration pour tous. Les peintres et les photographes se sentent bien près de la Seine, sous le pont Mirabeau, à côté de la Concorde ou sur les Champs Elysées.
Quant aux acteurs, chanteurs, artistes, lorsequ'ils sont connu aux Etats-Unis n'espèrent qu'une chose : la reconnaissance des européens.
Depuis toujours Paris est un des plus grands points culturels du Monde: entre les poèmes de Prevers, les chansons de Piaf, les photos de Doisneau et les écrits des Lumières les fanatiques y perdent leur tête.


Les grandes inspirations cinématographiques (car notre sujet a tout de même un liens étroit autant avec Paris qu'avec le cinéma) sont sûrement politiques au départ. En effet, après la guerre les Français éprouvaient une "soif de culture" et avaient besoin de s'émanciper culturellement parlant. D'où la première projection cinématographique en décembre 1895 au Salon Indien du Grand Café, boulevard des Capucines à Paris.

Paris vu par... film collectif de 6 cinéastes de la Nouvelle Vague



"Le projet de "Paris vu par" c'était de partir des principes même de la Nouvelle Vague, des conditions économiques et techniques qui faisaient qu'il fallait faire un autre cinéma." Jean Douchet

"Paris vu par" est un film collectif français à sketchs sorti en mai 1965,
D'une durée totale de 92 minutes, à l'initiative de Barbet Schroeder* il réunit les courts-métrages de six jeunes réalisateurs de la Nouvelle Vague : Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol. L'idée initiale était que "chacun faisait son film ne sachant pas ce que l'autre avait fait."

Nouvelle Vague : le manifeste
"Paris vu par" s'annonce comme le manifeste de ce que Truffaut appelait "une certaine tendance du cinéma français" car il possède et use de tous les principes et techniques caractériques de la Nouvelle Vague, à savoir : une transgression des lois du cinéma narratif classique, "cette école qui vise au réalisme [et qui] le détruit toujours au moment même de le capter enfin" dixit Truffaut, avec des montages éclatés, des tournages libérés et hors du studio, ainsi qu'une préférence pour les longs (dans la durée) et larges (dans l'espace) plans.

Les cinéastes de cette nouvelle tendance ont aussi pour règle de n'aborder que ce qu'ils connaissent, voilà pourquoi la majorité des films estampillés "Nouvelle Vague" sont tournés à Paris. Les détracteurs de cette tendance sont tout à fait en droit de taxer ce cinéma de "parisianiste". En choisissant Paris pour thématique les cinéastes se voient dans l'obligation de sortir des studios pour filmer des décors réels, ("l'idée de studio n'est pas pensable") : contrainte et principe premier du cinéma de la Nouvelle Vague qui implique un matériel beaucoup plus léger et moins encombrant d'où l'idée d'un film à sketchs exclusivement tourné en 16mm (la largeur de la pellicule mesurant 16mm) alors réservé aux amateurs et à la télévision et que les cinéastes de la Nouvelle Vague considéraient comme "[non] pas l'avenir mais une partie de l'avenir du cinéma" disait Barbet Schroeder.
Viennent s'ajouter à l'exigence du tournage en 16mm la présence de non-acteurs dans chacun des courts-métrages, mais cette règle ne sera pas respectée par tous les cinéastes.

Gare du Nord de Jean Rouch

1965 - France - 16 mn

Synopsis
Odile et Jean-Pierre ont une brouille qui dégénère en rupture. Elle rencontre un inconnu qui lui promet la vie dont elle avait rêvé. Si elle refuse, il se suicidera...

Un cinéma-vérité
Comme dans tous les sketchs qui composent "Paris vu par" le réalisme et la vraisemblance doivent dominer tout autre effet de style. Le cinéaste se pose comme « Un cinéaste est un journaliste : il doit informer et commenter" sans pour autant renoncer à son devoir de parer de lyrisme et de beauté la vie quotidienne qui pour ne pas la dénaturer, privilégiera plutôt le dialogue et la beauté naturelle des décors qu'ils soient intérieurs ou extérieurs. C'est pourquoi la capitale, par la beauté qu'elle possède et le lyrisme qu'elle suggère, se révèle être le lieu idéal au court-métrage de Jean Rouch.

Un drame humain
Jean Rouch -ethnologue de profession- aborde son film à la manière d'un fait divers, c'est à dire le récit d'évènements variés et considérés comme peu importants et qui n'appartiendrait à aucune actualité : il n'est ni politique, ni social, ni économique, ni culturel et est pourtant révélateur des failles de la société et de ce qu'on pourrait appeler une folie ordinaire généralisée.

La caméra commence par survoler la ville, arrêtant soudainement son regard sur une femme arrossant ses géraniums depuis son balcon, la caméra passe du général au particulier et s'immisce dans l'appartement de la jeune femme, Odile. S'ensuit une scène conjugale allant du petit-déjeuner au moment où chacun quitte le domicile commun pour se rendre à son travail, scène ponctuée de discussions et de querelles censées nous donner une impression de déjà-vu par sa banalité trop souvent cotôyée et qui pourtant brille par sa justesse et son exactitude.
Le sketch pourtant filmé en une seule fois pour respecter l'idée d'une "robe sans couture de la réalité" (André Bazin**) pourrait se diviser en deux parties : la première qui se passe tout du long au domicile conjugal et la deuxième débutant à partir du moment ou Odile prend l'ascenseur et marche jusqu'à son travail. Deux hommes pour deux scènes, chacune se terminant de façon dramatique.

La carte postale et son revers
"Le film durant 25 minutes je voulais au départ le tourner en un seul plan avec l'idée que ce film étant un drame je voulais remonter dans le temps sans une fissure, sans une seconde d'interruption pour montrer que ce qui précède à un drame.La minute qui précède un drame est essentiel, je voulais remonter les 20 minutes précédant à un drame et un drame qui est basé sur une rencontre, complétement hasardeux où personne n'est responsable sinon le destin avec un grand D."
Le film ne nous apprend absolument rien sur Paris sinon que des vies s'y déroulent et que des drames s'y trament. Jean Rouch ne tient ni à parler de ces monuments d'un autre temps ni du raffinement réservée à une lointaine élite mais bien de l'essence même de la vie/ville dans ce qu'elle a à première vue de plus banal et de moins intéréssant : le quotidien. Chacun appréhendant cet éternel recommencement, le fameux métro-boulot-dodo du poète André Béarn, à sa façon : certains en l'acceptant parfaitement (Jean-Pierre), d'autres en aspirant à mieux (Odile) ou encore en renonçant à poursuivre sa vie (l'inconnu qui finira par se suicider).
Les masques tombent, sous le vernis apparaît une quotidienneté médiocre et insoutenable qu'Odile cherchait, qu'elle a trouvé et qu'elle tente de fuir sans y arriver et qui sera la cause directe du suicide de cet inconnu qui pourtant lui promet tout ce qu'elle disait attendre de son mari 5 minutes plus tôt. Ici Paris se désincarne, la ville qui pouvait prendre parfois l'apparence d'un personnage à part entière, finit par ne pas dépasser les limites de l'arrière-plan, complice des frustrations qu'elle n'arrive pas à combler, des vies en son sein qui s'y déroulent mal.

Un Paris morcelé







"Prendre Paris comme thème principal mais avec décision que chaque sketch serait consacré à un quartier et des quartiers considérés comme des villages. Une histoire de ce village-là et qui ne peut se passer que dans cet espace-là et pas dans un autre. Avec ces principes là, chaque cinéaste sera libre de son histoire pour son quartier." Barbet Schroeder
Dans "Paris vu par" chaque quartier est un village à part entière, il n'est pas question pour les cinéastes de faire des documentaires sur les rues mais plutôt de réaliser des films avec des personnages qui seraient propres à un quartier, à un milieu social ou a une atmosphère. Chaque histoire, aussi imaginaire soit-elle ne manque pas de vraisemblance et annonce aux lecteurs que finalement tout peut arriver à Paris, même et surtout le pire.
Une certaine harmonie
La diversité de style qui caractérise les 6 sketchs n'exclut pas une certaine unité globale. Comme l'uniformité du film pourtant composé de sketchs extrêmement hétérogènes, Paris se compose d'une infinité de villages/arrondissements qui n'empêche pas une certaine cohérence et harmonie qui font de Paris la ville que l'on connaît. En somme, "Paris vu par" propose une image éclatée de Paris où chaque arrondissement représenterait une pièce du puzzle, un puzzle qui ne serait pas entier s'il manquait la moindre petite pièce.
Par son réalisme "Paris vu par" démantèle les clichés, dévoile l'envers de la toile de fond, les cinéastes connaissant mieux que personne la ville elle s'en trouve dès le début démystifiée, perdant les charmes que le mystère pouvait lui conférer pour en acquérir d'autres beaucoup plus envisageables, ceux d'une ville protéiforme et hétéroclite que finalement personne ne saisit tout à fait.



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*Barbet Schroeder : réalisateur et producteur qui est à l'origine du projet "Paris vu par" et de la maison de production "Les films du Losange" toujours en activité et qui a produit (entre autres) la totalité des films d'Eric Rohmer.

**André Bazin (1918-1958) : critique et théoricien de cinéma ayant profondément marqué les cinéastes de la Nouvelle Vague mais est mort trop tôt pour la voir à l'oeuvre.

Contributeurs