Paris dans le cinéma des années 50 à 60

Paris porté à l'écran : que retiennent les cinéastes?
projet intégral d'un TPE de deux élèves de 1ere Littéraire de la Folie Saint James à Neuilly

Paris au cinéma par Murielle

Le délicat profil d'une actrice fumant une cigarette dans un bistro, les brillantes discussions de deux personnages clé dans un café, les prostituées au grand coeur, les musiciens du métro, les bouquinistes et les disquaires, les amoureux, les bancs publics, les parcs et les pigeons, le Clichy populaire, les cinémas de Montparnasse, le Quartier Latin littéraire, les étudiants sorbonnards, les Champs-Elysées, autant d'images fantasmées de Paris a jamais incrustées dans l'inconscient de chacun. Paris, ce parfait endroit propice aux déambulations, à l'amour, au lyrisme et à tout les degrés de la tristesse comme de la joie.Pour certain la capitale inspire la fougue d'une jeunesse en cours, pour d'autre la mélancolie ouatée de celle révolue, mais chacun y trouve son compte quand il s'agit de donner aux petits comme aux grands évènements de sa vie le plus beau cadre qui soit. Cinéastes, écrivains, photographes, musiciens, chacun à sa façon a su sublimer Paris, se servir d'elle comme d'une muse immuable et fidèle, lui rendre service de la même façon qu'elle rend service à leur inspiration.
Ici nous nous focaliserons sur la représentation de Paris dans le cinéma des années 50 à 60 avec pour problématique : Quelles images de Paris se font les cinéastes de la Nouvelle Vague? Et les cinéastes américains? C'est à cette question et avec de modestes moyens que nous tenterons d'y répondre ou du moins d'y apporter des éléments de réponse par une analyse de grandes oeuvres cinématographiques comprises entre 1951 et 1965.

Nouvelle Vague
"Nadja à Paris" d'Eric Rohmer 1964
"Paris vu par..." film collectif des cinéastes de la Nouvelle Vague 1965

Cinéma d'ailleurs
Un américain à Paris Vincente Minneli 1951
Charade de Stanley Donen 1963
Deux têtes folles de Richard Quine 1964

Paris... Paris... par Alexia

Qui n' a jamais rêver une seule fois de s'allonger sous la Tour Eiffel,de voir la vie en rose, de se croire si seul au monde que l'on en apprécierait la venue des pigeons Parisiens, le petit vent frais du matin et l'odeur des excréments de chiens.
Paris, une grande source d'inspiration pour tous. Les peintres et les photographes se sentent bien près de la Seine, sous le pont Mirabeau, à côté de la Concorde ou sur les Champs Elysées.
Quant aux acteurs, chanteurs, artistes, lorsequ'ils sont connu aux Etats-Unis n'espèrent qu'une chose : la reconnaissance des européens.
Depuis toujours Paris est un des plus grands points culturels du Monde: entre les poèmes de Prevers, les chansons de Piaf, les photos de Doisneau et les écrits des Lumières les fanatiques y perdent leur tête.


Les grandes inspirations cinématographiques (car notre sujet a tout de même un liens étroit autant avec Paris qu'avec le cinéma) sont sûrement politiques au départ. En effet, après la guerre les Français éprouvaient une "soif de culture" et avaient besoin de s'émanciper culturellement parlant. D'où la première projection cinématographique en décembre 1895 au Salon Indien du Grand Café, boulevard des Capucines à Paris.

Paris vu par... film collectif de 6 cinéastes de la Nouvelle Vague



"Le projet de "Paris vu par" c'était de partir des principes même de la Nouvelle Vague, des conditions économiques et techniques qui faisaient qu'il fallait faire un autre cinéma." Jean Douchet

"Paris vu par" est un film collectif français à sketchs sorti en mai 1965,
D'une durée totale de 92 minutes, à l'initiative de Barbet Schroeder* il réunit les courts-métrages de six jeunes réalisateurs de la Nouvelle Vague : Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol. L'idée initiale était que "chacun faisait son film ne sachant pas ce que l'autre avait fait."

Nouvelle Vague : le manifeste
"Paris vu par" s'annonce comme le manifeste de ce que Truffaut appelait "une certaine tendance du cinéma français" car il possède et use de tous les principes et techniques caractériques de la Nouvelle Vague, à savoir : une transgression des lois du cinéma narratif classique, "cette école qui vise au réalisme [et qui] le détruit toujours au moment même de le capter enfin" dixit Truffaut, avec des montages éclatés, des tournages libérés et hors du studio, ainsi qu'une préférence pour les longs (dans la durée) et larges (dans l'espace) plans.

Les cinéastes de cette nouvelle tendance ont aussi pour règle de n'aborder que ce qu'ils connaissent, voilà pourquoi la majorité des films estampillés "Nouvelle Vague" sont tournés à Paris. Les détracteurs de cette tendance sont tout à fait en droit de taxer ce cinéma de "parisianiste". En choisissant Paris pour thématique les cinéastes se voient dans l'obligation de sortir des studios pour filmer des décors réels, ("l'idée de studio n'est pas pensable") : contrainte et principe premier du cinéma de la Nouvelle Vague qui implique un matériel beaucoup plus léger et moins encombrant d'où l'idée d'un film à sketchs exclusivement tourné en 16mm (la largeur de la pellicule mesurant 16mm) alors réservé aux amateurs et à la télévision et que les cinéastes de la Nouvelle Vague considéraient comme "[non] pas l'avenir mais une partie de l'avenir du cinéma" disait Barbet Schroeder.
Viennent s'ajouter à l'exigence du tournage en 16mm la présence de non-acteurs dans chacun des courts-métrages, mais cette règle ne sera pas respectée par tous les cinéastes.

Gare du Nord de Jean Rouch

1965 - France - 16 mn

Synopsis
Odile et Jean-Pierre ont une brouille qui dégénère en rupture. Elle rencontre un inconnu qui lui promet la vie dont elle avait rêvé. Si elle refuse, il se suicidera...

Un cinéma-vérité
Comme dans tous les sketchs qui composent "Paris vu par" le réalisme et la vraisemblance doivent dominer tout autre effet de style. Le cinéaste se pose comme « Un cinéaste est un journaliste : il doit informer et commenter" sans pour autant renoncer à son devoir de parer de lyrisme et de beauté la vie quotidienne qui pour ne pas la dénaturer, privilégiera plutôt le dialogue et la beauté naturelle des décors qu'ils soient intérieurs ou extérieurs. C'est pourquoi la capitale, par la beauté qu'elle possède et le lyrisme qu'elle suggère, se révèle être le lieu idéal au court-métrage de Jean Rouch.

Un drame humain
Jean Rouch -ethnologue de profession- aborde son film à la manière d'un fait divers, c'est à dire le récit d'évènements variés et considérés comme peu importants et qui n'appartiendrait à aucune actualité : il n'est ni politique, ni social, ni économique, ni culturel et est pourtant révélateur des failles de la société et de ce qu'on pourrait appeler une folie ordinaire généralisée.

La caméra commence par survoler la ville, arrêtant soudainement son regard sur une femme arrossant ses géraniums depuis son balcon, la caméra passe du général au particulier et s'immisce dans l'appartement de la jeune femme, Odile. S'ensuit une scène conjugale allant du petit-déjeuner au moment où chacun quitte le domicile commun pour se rendre à son travail, scène ponctuée de discussions et de querelles censées nous donner une impression de déjà-vu par sa banalité trop souvent cotôyée et qui pourtant brille par sa justesse et son exactitude.
Le sketch pourtant filmé en une seule fois pour respecter l'idée d'une "robe sans couture de la réalité" (André Bazin**) pourrait se diviser en deux parties : la première qui se passe tout du long au domicile conjugal et la deuxième débutant à partir du moment ou Odile prend l'ascenseur et marche jusqu'à son travail. Deux hommes pour deux scènes, chacune se terminant de façon dramatique.

La carte postale et son revers
"Le film durant 25 minutes je voulais au départ le tourner en un seul plan avec l'idée que ce film étant un drame je voulais remonter dans le temps sans une fissure, sans une seconde d'interruption pour montrer que ce qui précède à un drame.La minute qui précède un drame est essentiel, je voulais remonter les 20 minutes précédant à un drame et un drame qui est basé sur une rencontre, complétement hasardeux où personne n'est responsable sinon le destin avec un grand D."
Le film ne nous apprend absolument rien sur Paris sinon que des vies s'y déroulent et que des drames s'y trament. Jean Rouch ne tient ni à parler de ces monuments d'un autre temps ni du raffinement réservée à une lointaine élite mais bien de l'essence même de la vie/ville dans ce qu'elle a à première vue de plus banal et de moins intéréssant : le quotidien. Chacun appréhendant cet éternel recommencement, le fameux métro-boulot-dodo du poète André Béarn, à sa façon : certains en l'acceptant parfaitement (Jean-Pierre), d'autres en aspirant à mieux (Odile) ou encore en renonçant à poursuivre sa vie (l'inconnu qui finira par se suicider).
Les masques tombent, sous le vernis apparaît une quotidienneté médiocre et insoutenable qu'Odile cherchait, qu'elle a trouvé et qu'elle tente de fuir sans y arriver et qui sera la cause directe du suicide de cet inconnu qui pourtant lui promet tout ce qu'elle disait attendre de son mari 5 minutes plus tôt. Ici Paris se désincarne, la ville qui pouvait prendre parfois l'apparence d'un personnage à part entière, finit par ne pas dépasser les limites de l'arrière-plan, complice des frustrations qu'elle n'arrive pas à combler, des vies en son sein qui s'y déroulent mal.

Un Paris morcelé







"Prendre Paris comme thème principal mais avec décision que chaque sketch serait consacré à un quartier et des quartiers considérés comme des villages. Une histoire de ce village-là et qui ne peut se passer que dans cet espace-là et pas dans un autre. Avec ces principes là, chaque cinéaste sera libre de son histoire pour son quartier." Barbet Schroeder
Dans "Paris vu par" chaque quartier est un village à part entière, il n'est pas question pour les cinéastes de faire des documentaires sur les rues mais plutôt de réaliser des films avec des personnages qui seraient propres à un quartier, à un milieu social ou a une atmosphère. Chaque histoire, aussi imaginaire soit-elle ne manque pas de vraisemblance et annonce aux lecteurs que finalement tout peut arriver à Paris, même et surtout le pire.
Une certaine harmonie
La diversité de style qui caractérise les 6 sketchs n'exclut pas une certaine unité globale. Comme l'uniformité du film pourtant composé de sketchs extrêmement hétérogènes, Paris se compose d'une infinité de villages/arrondissements qui n'empêche pas une certaine cohérence et harmonie qui font de Paris la ville que l'on connaît. En somme, "Paris vu par" propose une image éclatée de Paris où chaque arrondissement représenterait une pièce du puzzle, un puzzle qui ne serait pas entier s'il manquait la moindre petite pièce.
Par son réalisme "Paris vu par" démantèle les clichés, dévoile l'envers de la toile de fond, les cinéastes connaissant mieux que personne la ville elle s'en trouve dès le début démystifiée, perdant les charmes que le mystère pouvait lui conférer pour en acquérir d'autres beaucoup plus envisageables, ceux d'une ville protéiforme et hétéroclite que finalement personne ne saisit tout à fait.



_________________________________________

*Barbet Schroeder : réalisateur et producteur qui est à l'origine du projet "Paris vu par" et de la maison de production "Les films du Losange" toujours en activité et qui a produit (entre autres) la totalité des films d'Eric Rohmer.

**André Bazin (1918-1958) : critique et théoricien de cinéma ayant profondément marqué les cinéastes de la Nouvelle Vague mais est mort trop tôt pour la voir à l'oeuvre.

Nadja à Paris




Une vision réaliste de Paris par Eric Rohmer

1964 - France - 13 mn

Nadja à Paris est un court-moyen métrage réalisé par Eric Rohmer, cinéaste tardif de la Nouvelle Vague ayant noircit les colonnes des Cahiers du cinéma dans les années 60 aux côtés de ses acolytes Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jacques Rivette ou encore Claude Chabrol.
Caméra sur le dos, Rohmer emboîte le pas à Nadja Tesich, américaine d'origine yougoslave, étudiante à la Sorbonne et préparant une thèse sur Proust. Le titre l'annonce, il s'agira à la fois et simultanément d'un portrait en creux de Nadja et de celui de Paris. Portraits s'établissant autour d'un monologue interne et très littéraire, aussi littéraire que l'hommage rendu au roman d'André Breton "Nadja" mais non moins réaliste car le réalisme sert de base au cinéma "rohmerien". Nadja y récite un texte qu'elle a elle-même rédigé, en dehors de la voix-off le film est presque muet, rarement ponctué de dialogues.

Nadja sort de la Maison de l'Allemagne qui se situe à la Cité Internationale Universitaire de Paris, maison censée héberger les étudiants allemands souhaitant continuer leurs études à Paris. Elle court à travers le parc sans jamais s'arrêter, emportant dans son élan la caméra de Rohmer qui en profite pour fixer son attention sur un groupe de jeunes, un terrain de tennis, captant la gaieté estudiantine et les loisirs des beaux jours du parc de la Cité Universitaire, réputée pour son brassage culturel. Après avoir survoler l'extérieur de la Cité, Nadja réintègre la maison de l'Allemagne, expliquant que tout ce dont elle a besoin, distractions comme outils de travail se trouvent ici et qu'elle s'y sent si bien qu'elle n'a plus envie de sortir et pourtant s'en suivra une visite à ses côtés de Paris.

Paris : dépaysement et adaptation
Rohmer semble filmer Nadja à son insu, seul la voix-off ajoutée aux images nous indique que Nadja est "consentante". Elle nous parle d'un Paris qu'elle cottoie tous les jours, un Paris dont elle a déjà assimilé le mode de vie et les codes, les caractéristiques : ses bouquinistes, ses cafés, ses brasseries, ses parcs et ses flâneries mais sa façon d'en parler nous communique l'impression de "folklore" qu'elle ressent au contact des comportements français, elle garde un certain recul, voit encore la ville à la façon d'une étrangère désabusée et lucide dépourvue de l'émerveillement puéril et excessif du touriste des premières heures. Malgré cette connaissance approfondie du sujet "Paris", on discerne dans son comportement une incompréhension mêlée de curiosité, un sentiment d'égarement. Cela se ressent dans sa façon de parler des français.

Paris, ville-personnage aux multiples facettes.
Ici Rohmer, ou plutôt Nadja évoque les différentes facettes, les différents visages de Paris. En 13 minutes nous traversons le Paris intellectuel et littéraire, le Paris culinaire, le Paris estudiantin, le Paris bucolique, le Paris populaire, le Paris cosmopolite, le Paris propice aux rencontres où le monde se refait mille fois par jour, un Paris fait de marché en plein air, de parcs, de déjeuner sur le pouce et d'études studieuses, un Paris qui s'oppose -comme nous le verrons- fondamentalement avec la vision américaine d'une capitale raffinée réservée à une élite oisive pouvant s'offrir le déplacement. Au final Nadja s'y sent comme dans une bulle, un microcosme qu'elle ne saisit pas tout à fait et qu'elle finit par regarder de loin, comme on regarde la mer. Pour Nadja la capitale est une parenthèse géographique dans laquelle elle ne se voit pas vivre, un Paris de cinéma, évanescent, qui dure le temps d'une ritournelle, qu'on traverse et auquel on repense de loin.

L'empreinte de la Nouvelle Vague
Nadja à Paris est profondément ancré dans l'esthétique Nouvelle Vague, il y possède les codes, les mots de passe : d'abord un goût pour les tournages en extérieur en réaction aux tournages en studio, ensuite une esthétique se situant au plus près du réel, sans musique, sans chichis, trés dépouillée, à l'image de Paris et qui favoriserait le vagabondage des idées, des pensées, des pieds et des sentiments. Enfin, un cinéma prenant ses racines dans la littérature, avec une place de choix réservée au texte, au monologue interne. Le cinéaste, comme dans la majorité de ces films parisiens, indique toujours les lieux de l'intrigue avec une extrême précision : comme si le spectateur était invité à suivre le cinéaste avec son plan de Paris, nommer les rues équivaudrait à prouver qu'elles existent et contribuent au réalisme du film.
Ce court moyen métrage fait partie intégrante de la filmographie d'Eric Rohmer tout en s'en détachant par sa brieveté et par sa visée documentaire : le texte n'est pas écrit par lui, Nadja observe Paris et Rohmer observe une Nadja solitaire, muette, s'essayant à l'introspection, loin des siens mais heureuse et qui finira par avouer : "ce qui caractérise Paris, c'est sa grande variété, on peut passer sans gêne d'un milieu à un autre, c'est une ville vraiment ouverte, et finalement elle vous en apprend plus de vous que vous en découvrez d'elle".

Ce n'est donc pas ici le Paris de Rohmer mais bien le Paris de Nadja et la Nadja de Rohmer.
En somme, le Paris d'une américaine et le film d'un français.

Arrondissements filmés



- Cité Internationale Universitaire de Paris, Maison de l'Allemagne, métro Cité Universitaire
- Belleville, son marché, bar "Chez Mimi"
- Quartier de la Sorbonne et ses bouquinistes
- Café de Flore à Saint-Germain-des-Près
- Montparnasse, brasserie la Coupole
- Parc des Buttes-Chaumont

"So this is Paris", la capitale dans le cinéma américain.

Le cinéma joue un rôle capital quant à la représentation et aux idées que les gens peuvent se faire Outre-Atlantique d'une ville comme Paris. C'est pour cela que dans un film chaque code est important, que chaque scène extérieure définit précisément ce qu'une personne retiendra d'une ville qu'elle ne connaît pas. Par ses épurations et ses manipulations, par son désir de ne garder que ce qui lui paraît essentiel, le réalisateur prend la responsabilité d'occulter une partie de vérité aux yeux de ses spectateurs, de rendre publique une représentation ultra subjective et qui sera prise pour vérité dans la construction d'un Paris imaginaire et collectif.

Charade de Stanley Donen



1963 - Etats-Unis - 113 min

Charade est un long-métrage américain sorti en 1963 et réalisé par Stanley Donen qui est alors spécialisé dans la comédie musicale (Singing in the rain, 1952) et qui dans ce film s'attelle à un tout autre registre : la comédie policière. Charade a la particularité d'osciller entre le suivi de l'intrigue avec une succession d'assassinats tous plus mystérieux les uns que les autres et la veine comique dont fait preuve le jeu d'acteurs servi par un duo aussi talentueux que populaires pour l'époque à savoir Audrey Hepburn (Diamants sur canapé) et Cary Grant (La mort aux trousses), chacun jouant le partenaire comique et de coeur de l'autre.

Synopsis
Regina Lampert (Audrey Hepburn), en instance de divorce, retrouve son appartement parisien sans dessus dessous et apprend la mort de son mari. L'inspecteur Grandpierre lui explique que son époux avait détourné pendant la guerre un magot destiné à la Résistance française. Ses anciens complices ont dû vraisemblablement l'abattre, voyant qu'il voulait profiter seul du trésor. Suspectée par ses derniers, "Reggie" ne sait plus où donner de la tête. Même Peter Joshua (Cary Grant), un séduisant célibataire rencontré aux sports d'hiver, semble être impliqué dans cette affaire.

Paris une vitrine attractive au service du film
Charade a l'avantage d'être uniquement tourné en décors réels. Beaucoup de scènes sont filmées en extérieur mais nous sommes encore très loin du cinéma contemplatif et vagabond de la Nouvelle Vague : aucune importance particulière n'est conféré à l'environnement extérieur dans lequel évoluent les personnages, Charade est un film d'action, l'intrigue doit se poursuivre au détriment d'un intérêt plus appuyé pour la ville en question. Ce n'est plus le Rohmer qui oublie son héroïne pour aller filmer les terrasses des cafés mais bien un réalisateur ayant trouvé que Paris constituait le plus bel écrin qui soit pour son héroïne et l'épanouissement de son intrigue.
L'exceptionnelle richesse et variété de lieux figurants dans le film nous permettent de dire que Paris possède tout de même un rôle de premier plan, chaque rebondissement servant à en dévoiler toujours un peu plus de la ville. (vidéo des rendez-vous pris avec Hepburn). S'agissant du service rendu de la capitale au film, la curiosité (réciproque) qu'on toujours témoigné les américains pour le folklore sinon le chic parisien se voit ici largement satisfaite, Paris est l'argument de vente idéal, l'arrière-plan inespéré pour une comédie romantique et qui plus est américaine.

Hommage et clichés
Le Paris de Charade est un Paris populaire vu depuis la chambre d'hôtel de riches américains oisifs et qui dépourvu de sa notion sociale semble ne posséder que des charmes et se résumer à son marché des Halles, à son marché aux timbres et au Guignol des Champs-Elysées, c'est un Paris touristique, un Paris de surface. Le réalisateur use et abuse des images préconçues qu'inspire la capitale et c'est donc avec Peter Joshua nommé "président" chargé de distraire Reggie qui est alors coincée dans une ville qu'elle ne peut quitter au risque d'y perdre la vie que le parcours touristique de la capitale peut commencer. Le couple se voit presque contraint de visiter Paris pour le plus grand bonheur des spectateurs, enchaînant les plans-séquences dans des lieux fameux de la capitale, le duo se promène donc le long des quais de Seine, c'est l'occasion d'une scène ou "Reggie" fait allusion à des oeuvres emblématiques ayant pour décor Paris : le film de Vincente Minneli Un américain à Paris et le roman de Victor Hugo Le Bossu de Notre-Dame. Cette scène se présente comme un évident hommage à Paris où chaque parcelle de la ville lumière semble déjà avoir été célébrée, filmée, décrite, chantée, les personnages sentant trainer derrière eux tout le poids historique et culturel d'une ville portée au pinacle un nombre incalculable de fois.

Paris prestige
Si le Paris populaire de Charade se limite à quelques arrondissements très peu représentatif du quotidien des parisiens c'est que Reggie est une américaine nantie comme en témoigne son vide mais non moins gigantesque appartement qu'elle délaissera pour un hôtel 2 étoiles ainsi que le train de vie qu'elle mène à Paris. N'étant que de passage mais ne pouvant partir, elle se retrouve enfermée dans la plus belle prison qui soit.
Soulignons aussi qu'Audrey Hepburn est tout au long du film habillée par Hubert de Givenchy, ami de l'actrice, éminent couturier et l'une des figures emblématiques de l'élégance à la française, l'actrice incarnera la marque dès 1953 s'affichant avec les tenues du couturier tout au long d'une série de film allant de Sabrina à Deux têtes folles en passant par Diamants sur canapé et Charade. Cela prouve bien la décision qu'a prise Stanley Donen de filmer un Paris prestigieux, fantasmé, où tous ses emblèmes seraient célébrés et réunis dans un même film : sa couture, ses amoureux, ses cafés, ses cathédrales (Notre Dame), ses théâtres (la Comédie Française), ses marchés, ses péniches, ses toits, ses cabarets, son fleuve, son métro et son architecture. Stanley Donen ne se soucie ni de la vraisemblance de son histoire ni du réalisme des décors, méritant autant son statut de cinéaste que celui de storyteller.


Lieux filmés :
- Les Halles la nuit qui était encore un marché exporté à Rungis en 1969 soit 6 ans après le film.
- le Palais Royal
- la Comédie Française
- l’Institut Médico-légal de Paris
- le métro Saint-Jacques
-Hôtel 2 étoiles Saint-Jacques
- le siège d’American Express
- les Bateaux-Mouche
- le Port de la Tournelle
- le bâtiment de l’UNESCO
- le marché aux timbres
- le Guignol des Champs-Elysées
- l’Ambassade Américaine, Place de la Concorde.

Deux têtes folles (Paris when it sizzles) de Richard Quine


1964 - Etats-Unis - 106 min

"Deux têtes folles" est un long métrage réalisé par Richard Quine, réalisateur adepte de la comédie américaine. Il s'agit d'un remake de "La fête à Henriette" du réalisateur Julien Duvivier.
On y retrouve Audrey Hepburn qui poursuit sa série de films tournés à Paris et William Holden avec qui l'actrice avait déjà tourné le Sabrina de Billy Wilder, l'acteur n'est pas sans rappeler le Cary Grant de Charade, d'ailleurs ces deux films se rejoignent sur plusieurs points : une situation initiale commençant hors de Paris (Megève pour Charade/La Côte d'Azur pour Deux têtes folles), la notion qu'affectionne tant les américains de "duo de choc", duo qui dans les deux films se retrouve coincé à Paris.
Synopsis
Le scénariste réputé Richard Benson doit livrer le 14 juillet, au producteur du film « La fille qui a volé la tour Eiffel », un scénario de 200 pages. Il se rend à Paris en espérant que le charme de la ville va l'aider à trouver l'inspiration. A court d'idée, il finit par demander à sa secrétaire Gabrielle Simpson (Audrey Hepburn) de l'aider. Ensemble, ils vont imaginer une série d'histoires dont ils se voient à tour de rôle les héros...

Paris et sa jungle urbaine




La majorité des plans de Deux têtes folles sont larges, contrairement à Charade qui privilégiait des plans plus serrés focaliser sur les personnages . Richard Quine accumule les plans d'ensemble qui permettent aux spectateurs d'avoir une vue globale de l'environnement dans lequel évoluent les personnages, ce film se distingue donc de Charade qui préférait au plan d'ensemble le plan américain (à mi-cuisses) ou le plan moyen (à pied). Nombreuses sont les scènes où le duo se voient noyer dans une foule luxuriante et ne peut s'en distinguer que par un plan plus serré, Quine exploite au maximum Paris, ses avantages et ses possibilités. Le 14 juillet poussant dans ses retranchements cette idée de chaos, de cirque, de "jungle urbaine", qui contribue à l'image d'un Paris pittoresque et fantasque, les parisiens absents et oubliés chez Donen sont mis en valeur chez Quine.

Paris,"capitale de la fête et des plaisirs"




Sybaritisme, subst. masc., littér. Recherche de la jouissance; goût pour les plaisirs délicats, raffinés ou luxueux
En dehors des joies foraines d'un Paris convivial et ouvert, "Deux têtes folles" présente Paris comme une ville de plaisirs et de volupté. La notion de "sybaritisme" y est même employée et précisement expliquée lors d'une scène. Historiquement, les music-halls, théâtres et autres salles de spectacles construits entre 1860 et 1910 confère à la ville une réputation de "capitale de la fête et des plaisirs", Paname est le nouveau petit nom de Paris, celui des accordéons, des bals populaires, de la chanson réaliste et du jazz. Dans le film, la gastronomie y est célébrée lors de repas pantagrueliques, la luxure et la démesure inhérentes à l'esprit des sybarites y sont vantées au moment du grand bal costumé de la Tour Eiffel.
La chute même du film prône un retour à une certaine spontanéité et à une écoute de ses désirs au détriment d'un travail laborieux à accomplir. Ainsi le scénariste Richard Benson se débarasse du script qu'il a eu tant de mal à écrire et décide dans une ultime scène clichée et assumée de passer le reste de sa vie, sinon de la soirée, aux côtés de "Gabby".



Un Paris pittoresque
En choisissant de tourner en période de fête nationale Richard Quine prenait la décision de dépeindre un Paris pittoresque (au sens véritable, "digne d'être peint") et hors du commun : une fois dans l'année les parisiens descendent dans les rues pour faire la fête, le spectateur lambda ne pourra s'empêcher de garder en tête l'image d'un Paris festif et populaire.
Le film est une alternance de scènes se passant à l'hôtel où le duo rédige le script à finir de tout urgence et de scènes extérieures où l'action se passe au fur et à mesure qu'ils l'écrivent. Cela laisse la liberté au réalisateur de faire s'enchaîner ses lubies scénaristiques les plus curieuses, le spectateur assiste à une poursuite entre un vampire et Gabrielle Simpson qui se termine en course-poursuite en fiacre et en aéroplane et tout cela sans quitter Paris.

"Action, action and...action"*
Comme pour Charade, "Deux têtes folles" est avant tout un film d'intrigue où le spectateur n'a pas le droit de s'ennuyer.
A plusieurs reprises, Gabrielle Simpson incarnée par Audrey Hepburn fait allusion à un réalisateur inventé pour le film, un certain Roger Roussin appartenant à la Nouvelle Vague et qui aurait tourné un film s'intitulant "La partie de Scrabble n'aura pas lieu", Richard Benson lui répond sur un ton ironique appartenir à "l'ancienne vague".
On retrouve une allusion à la Nouvelle Vague lors de la scène se passant au studio de cinéma où Rick emmène Gabby qui lui raconte ce qu'elle aime au cinéma : "...western, cambriolages compliqués, mais surtout pas l'affreuse Nouvelle Vague". Ces scènes témoignent du point de vue personnel du réalisateur qui se pose comme fervent opposant à cette tendance, la réponse à ce cinéma qu'il ridiculise et fait passer pour nihiliste et intello est bien "Deux têtes folles" qui occupe les lieux normalement détenus par la Nouvelle Vague et qu'il sublime à sa façon, c'est à dire en la barriolant de couleurs et de situations burlesques par opposition au réalisme austère du nouveau cinéma français.

Lieux filmés :


- Parc Monceau et Guignol des Champs-Elysées
- Elysée Hôtel 3 étoiles
- Place Dauphine
- Studio "Franstudio" à Saint-Maurice dans le Val-de-Marne
- Aéroport du Bourget en Seine-Saint-Denis
- Tour Eiffel
_______________________________________

* "Action, action...and action" est une boutade du réalisateur Raoul Walsh à propos des trois composants essentiels du cinéma.

Conclusion

Deux visions de Paris et deux façon d'aborder le cinéma s'opposent ici, celle à visée divertissante d'un cinéma hollywoodien à gros budget et populaire ayant les moyens de ses ambitions et celle d'un cinéma à visée artistique de cinéastes héritiers du néo-réalisme, en somme une opposition entre un cinéma d'action, l'image-mouvement que le philosophe Gilles Deleuze opposait à l'image-temps d'un cinéma de contemplation.
Les représentations de Paris au cinéma en disent autant sur le cinéma que peut en réveler le cinéma sur Paris, le nombre incalculable de films tournés dans la capitale témoignent de la constante fascination du monde du 7ème art pour ce qui doit incontestablement être la ville la plus cinégénique qui puisse exister. Les admirateurs de la ville-Lumière, qu'ils soient français comme étrangers ont bien compris que Paris, au-delà de ces transformations internes possédait une sorte d'aura -pour ne pas dire âme- inspiratrice, mythique et immuable.
Finalement, comme le disait Charles Peguy et comme ne le disait pas Jacques Rivette, "Paris n'appartient à personne", ni aux parisiens encore moins aux français, c'est une muse qui se laisse photographier, filmer, peindre et aduler mais qui ne succombe à rien ni personne, pas même au temps.

Contributeurs