Paris porté à l'écran : que retiennent les cinéastes?
projet intégral d'un TPE de deux élèves de 1ere Littéraire de la Folie Saint James à Neuilly

Nadja à Paris




Une vision réaliste de Paris par Eric Rohmer

1964 - France - 13 mn

Nadja à Paris est un court-moyen métrage réalisé par Eric Rohmer, cinéaste tardif de la Nouvelle Vague ayant noircit les colonnes des Cahiers du cinéma dans les années 60 aux côtés de ses acolytes Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jacques Rivette ou encore Claude Chabrol.
Caméra sur le dos, Rohmer emboîte le pas à Nadja Tesich, américaine d'origine yougoslave, étudiante à la Sorbonne et préparant une thèse sur Proust. Le titre l'annonce, il s'agira à la fois et simultanément d'un portrait en creux de Nadja et de celui de Paris. Portraits s'établissant autour d'un monologue interne et très littéraire, aussi littéraire que l'hommage rendu au roman d'André Breton "Nadja" mais non moins réaliste car le réalisme sert de base au cinéma "rohmerien". Nadja y récite un texte qu'elle a elle-même rédigé, en dehors de la voix-off le film est presque muet, rarement ponctué de dialogues.

Nadja sort de la Maison de l'Allemagne qui se situe à la Cité Internationale Universitaire de Paris, maison censée héberger les étudiants allemands souhaitant continuer leurs études à Paris. Elle court à travers le parc sans jamais s'arrêter, emportant dans son élan la caméra de Rohmer qui en profite pour fixer son attention sur un groupe de jeunes, un terrain de tennis, captant la gaieté estudiantine et les loisirs des beaux jours du parc de la Cité Universitaire, réputée pour son brassage culturel. Après avoir survoler l'extérieur de la Cité, Nadja réintègre la maison de l'Allemagne, expliquant que tout ce dont elle a besoin, distractions comme outils de travail se trouvent ici et qu'elle s'y sent si bien qu'elle n'a plus envie de sortir et pourtant s'en suivra une visite à ses côtés de Paris.

Paris : dépaysement et adaptation
Rohmer semble filmer Nadja à son insu, seul la voix-off ajoutée aux images nous indique que Nadja est "consentante". Elle nous parle d'un Paris qu'elle cottoie tous les jours, un Paris dont elle a déjà assimilé le mode de vie et les codes, les caractéristiques : ses bouquinistes, ses cafés, ses brasseries, ses parcs et ses flâneries mais sa façon d'en parler nous communique l'impression de "folklore" qu'elle ressent au contact des comportements français, elle garde un certain recul, voit encore la ville à la façon d'une étrangère désabusée et lucide dépourvue de l'émerveillement puéril et excessif du touriste des premières heures. Malgré cette connaissance approfondie du sujet "Paris", on discerne dans son comportement une incompréhension mêlée de curiosité, un sentiment d'égarement. Cela se ressent dans sa façon de parler des français.

Paris, ville-personnage aux multiples facettes.
Ici Rohmer, ou plutôt Nadja évoque les différentes facettes, les différents visages de Paris. En 13 minutes nous traversons le Paris intellectuel et littéraire, le Paris culinaire, le Paris estudiantin, le Paris bucolique, le Paris populaire, le Paris cosmopolite, le Paris propice aux rencontres où le monde se refait mille fois par jour, un Paris fait de marché en plein air, de parcs, de déjeuner sur le pouce et d'études studieuses, un Paris qui s'oppose -comme nous le verrons- fondamentalement avec la vision américaine d'une capitale raffinée réservée à une élite oisive pouvant s'offrir le déplacement. Au final Nadja s'y sent comme dans une bulle, un microcosme qu'elle ne saisit pas tout à fait et qu'elle finit par regarder de loin, comme on regarde la mer. Pour Nadja la capitale est une parenthèse géographique dans laquelle elle ne se voit pas vivre, un Paris de cinéma, évanescent, qui dure le temps d'une ritournelle, qu'on traverse et auquel on repense de loin.

L'empreinte de la Nouvelle Vague
Nadja à Paris est profondément ancré dans l'esthétique Nouvelle Vague, il y possède les codes, les mots de passe : d'abord un goût pour les tournages en extérieur en réaction aux tournages en studio, ensuite une esthétique se situant au plus près du réel, sans musique, sans chichis, trés dépouillée, à l'image de Paris et qui favoriserait le vagabondage des idées, des pensées, des pieds et des sentiments. Enfin, un cinéma prenant ses racines dans la littérature, avec une place de choix réservée au texte, au monologue interne. Le cinéaste, comme dans la majorité de ces films parisiens, indique toujours les lieux de l'intrigue avec une extrême précision : comme si le spectateur était invité à suivre le cinéaste avec son plan de Paris, nommer les rues équivaudrait à prouver qu'elles existent et contribuent au réalisme du film.
Ce court moyen métrage fait partie intégrante de la filmographie d'Eric Rohmer tout en s'en détachant par sa brieveté et par sa visée documentaire : le texte n'est pas écrit par lui, Nadja observe Paris et Rohmer observe une Nadja solitaire, muette, s'essayant à l'introspection, loin des siens mais heureuse et qui finira par avouer : "ce qui caractérise Paris, c'est sa grande variété, on peut passer sans gêne d'un milieu à un autre, c'est une ville vraiment ouverte, et finalement elle vous en apprend plus de vous que vous en découvrez d'elle".

Ce n'est donc pas ici le Paris de Rohmer mais bien le Paris de Nadja et la Nadja de Rohmer.
En somme, le Paris d'une américaine et le film d'un français.

Arrondissements filmés



- Cité Internationale Universitaire de Paris, Maison de l'Allemagne, métro Cité Universitaire
- Belleville, son marché, bar "Chez Mimi"
- Quartier de la Sorbonne et ses bouquinistes
- Café de Flore à Saint-Germain-des-Près
- Montparnasse, brasserie la Coupole
- Parc des Buttes-Chaumont

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